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Le Blog de Marcus Da Writer

NOUVELLE : LE VENDEUR D'AMOUR

19 Octobre 2013 , Rédigé par Da Writer Publié dans #Récits & Nouvelles

"Si une femme t'aimait, et si tu avais la présence d'esprit de mesurer l'étendue de ce privilège, aucune divinité ne t'arriverait à la cheville."
Yasmina KHADRA

Tout le monde a son opinion sur ce qu’est l’amour véritable. Pour certains, il se limite à d’excellentes relations sexuelles, qui ne demandent aucun attachement, encore moins un engagement, avec un partenaire bien foutu – entendez-le dans tous les sens. Pour d’autres, c’est une parfaite relation, une véritable alchimie avec une personne du sexe opposé – je précise parce qu’il y a de nouvelles tendances -, qui nous comprend et que l’on comprend en retour. De ces hypothèses, nul ne peut dire avec certitude laquelle est vraie, car l’amour, le véritable amour, l’amour avec le grand A, cet amour si beau, si grand, si rare, et si noble ; eh bien, cet amour-là ne s’explique pas. Je sais ce que vous vous dites à ce moment précis. Si vous êtes un homme, vous vous dites surement : « Oh ! la chochotte ». Et si vous êtes une femme, vous vous dites : « Oh ! Que c’est romantique ! » Non, ça ne l’est pas. Il n’y a aucun romantisme dans mes mots, et je ne suis pas une chochotte. Je fais juste partie d'une troisième catégorie, celle qui ignore ce qu’est l’amour véritable, ou même l’amour tout court, et qui ne cherche absolument pas à le savoir. Pour nous, tout ce qui compte, est le temps que nous passons avec l’autre, et le plaisir que nous en tirons.

Enfin, bref ! Ça, c’était l’introduction. Passons maintenant au sujet.

Il y a une éternité que je ne me suis pas levé d’aussi bonne humeur. La nuit a été on ne peut plus agréable ; bien au-delà de mes espérances, je dois l’avouer. Le vent n’a cessé de faire des va-et-vient dans la pièce dans laquelle, paisiblement, je ronflais, rêvant de toutes ces choses qui font le bonheur de l’homme : l’argent, la femme, et l’argent. Attention ! C’est toujours dans cet ordre. Il y avait longtemps que je n’avais pas aussi bien dormi. L’expression « dormir comme un bébé » prenait tout son sens ; sauf que dans mon cas, cela n’était plus qu’une simple expression.

Faites l’expérience, vous m’en direz des nouvelles. Il n’y a rien de plus agréable que de se réveiller dans un vaste lit de deux places, avec pour seuls vêtements, votre peau et rien d’autre. Oui, j’étais à poil. Le drap censé couvrir mon anatomie, avait été chassé lors d’un combat de maîtres la nuit précédente –je peux vous donner le nom du vainqueur, mais je ne le ferai pas. Donc, je disais, j’étais en tenue de naissance. L’air rentrait et sortait de partout. J’avais l’impression de dormir sur un nuage, et que des milliers de plumes d’oiseaux dansaient la salsa sur mon corps. Comment vous l’expliquer ? J’étais au paradis, voilà tout. Cela faisait une éternité que je ne m’étais pas senti aussi bien. Mon adversaire avait sorti le grand jeu. Elle m’avait même fait un massage. Vous vous rendez compte ? Un massage. C’était dé… attendez la suite… mentiel. Mais il fallait se réveiller à présent. Le soleil s’était déjà levé, et j’avais pour principe de ne jamais rester au lit jusqu’à l’heure du déjeuner. De plus, ce n’était ni mon lit, ni ma chambre, ni ma maison, et même pas mon quartier.

Je vous explique.

Je me nomme Yatma. Les femmes et les intimes m’appellent Yat le Sexy. Inutile de connaitre mon patronyme, il ne vous sera d’aucune utilité. Modestie à part, je suis l’homme dont rêve les jeunes filles, et auquel les femmes aimeraient pouvoir dire : « oui, je le veux ». Je viens de totaliser vingt-neuf ans pour la quatrième fois cette année – vous comprendrez bientôt pourquoi. J’ai horreur du mensonge et des salauds. Je suis passionné par deux choses, ou peut-être trois : moi, mes vêtements, et mon odeur. Ce sont d’ailleurs des passions que j’ai en commun avec toutes les femmes que j’ai eu à rencontrer. Et si mes souvenirs sont bons, et mes calculs exacts, elles doivent aujourd’hui être au nombre de… oups ! désolé, j’ai arrêté de compter après vingt-neuf.

Les hommes qui convoitent les femmes avec lesquelles je passe mon temps, pensent que je suis un connard. Oui, je vous l’accorde, l’adjectif est fort. Ils m’auraient mieux connu, ils sauraient que cela n’est absolument pas vrai. C’est une diffamation. Je vous le dis à nouveau : j’ai horreur des salauds, des connards, et de tous ceux qui ne respectent pas la gente féminine. Ce que ces hommes qui m’insultent ignorent, est que, contrairement à eux, j’ai des principes auxquels je ne peux déroger. L’un d’eux est de ne jamais passer plus d’une semaine avec une femme, quelle qu’elle soit ; l’autre, celui que je préfère, est de ne jamais dire plus de deux mensonges à la même femme. Habituellement, ils sont très simples et se résument en deux phrases : « C’est mon anniversaire » et « Je te rappellerai ». Parfois ils changent en fonction de la femme qui se trouve en face de moi, c’est selon. Cependant, tout le reste est absolument vrai.

Zut ! J’allais oublier ! Il est bientôt 12 heures. Il faut que je dise à cette femme, dont j’ai oublié le prénom, à force de l’appeler « mon cœur », que je dois m’en aller. Je préfère les affubler de petits noms, pour être sûr de toujours oublier leurs véritables prénoms. Cela m’empêche d’être tenté de les rappeler, ou de les revoir. Je vous explique. Chacune des femmes que je fréquente a droit à une semaine, et pas un jour de plus, avec moi. Une semaine pendant laquelle je lui donne un aperçu du paradis. Ceci n’est pas un passe-temps : c’est mon job.

Cette semaine qui tire à sa fin, appartient à la charmante cap-verdienne avec laquelle j’ai passé la nuit dernière. Elle avait sollicité mes services, et je lui en avais donné pour son argent. Ce fut la plus incroyable de toutes les semaines que j’ai eues à passer avec une femme. Cette dame était tout juste époustouflante. Elle avait ce je-ne-sais-quoi qu’on ne trouve pas chez n’importe qui. C’est fou que j’aie pu oublier son prénom. Je me souviens qu’il était très beau. Je le lui avais d’ailleurs dit. Quelle mémoire avais-je !

Cela avait peut-être été une superbe semaine, mais il faut savoir s’en aller quand c’est la fin. Et là, c’était la fin. Par ailleurs, le mystère et l’absence sont deux choses importantes pour la réussite d’une bonne relation. Aussi faut-il donner à la « cliente » la chance de rencontrer un autre homme, avec lequel elle pourra se consoler, et, éventuellement, réapprendre à vivre.

Je sais ce que vous vous dites : « Mais c’est un salaud, ce type ! ». Non, je n’en suis pas un. Ne vous empressez pas de me juger. Je vous l’ai dit : j’ai horreur des salauds. Ces hommes qui profitent des femmes, leur brisent le cœur, et les laissent en plan, sachant qu’elles perdront ainsi toute confiance en elles, et auront peur de toute nouvelle relation ; je les ai en horreur. Je ne suis pas ainsi. Je suis plutôt quelqu’un de sérieux, d‘honnête, de franc, qui fait un travail noble, bien qu’ayant de multiples avantages. Je tiens une entreprise spécialisée dans le service à la personne, et ma cible est la femme en général, sans distinction aucune. Seule condition : un portefeuille bien garni, car mes services sont assez onéreux. Il faut bien que je reçoive des émoluments, autrement mon business tomberait à l’eau ! En parlant de mon business, permettez-moi de vous le présenter.

Comme je vous l’ai dit tantôt, je suis dans le service à la personne. Je suis un charmant et gentil homme, d’une taille et d’une forme remarquables, qui met ses multiples potentiels au service des femmes célibataires, en manque de confiance, blessées par quelque salaud, ou trop occupées par leur boulot pour se consacrer à leur propre vie. Le service que je leur offre est limité dans le temps. Il s’agit d’une semaine avec l’homme idéal (moi), en échange d’un bon paquet d’argent, avec la garantie qu’elles iront beaucoup mieux après, et la promesse d’un remboursement totale dans le cas où je ne parviendrai pas à les rendre heureuses. Je n’ai encore jamais eu à faire face à une demande de remboursement, ce qui prouve le sérieux de mon activité. Les experts en la matière ne devraient voir aucun pépin dans ce business model. A mes temps libres, je dispense des cours de séduction à de jeunes pubères, qui ne savent encore rien de la gente féminine. Il s’agit, la plupart du temps, de jeunes trop gros, trop laids, ou trop cons ; enfin, moi il y a quelques années. Vu que je n’étais pas gros, j’ai dû travailler pour le devenir un tantinet, mais dans le sens positif. J’ai aussi beaucoup atténué le trop laid ; mais je ne vous donnerai pas mon secret. A présent, je suis regardable, et ce n’est pas un euphémisme.

Comme toute entreprise cependant, les débuts ont été difficiles. Je n’avais aucun sou, et pas un moyen d’en avoir dans l’immédiat. Tout ce que je possédais était ma personne, mon charme, ma sympathie, ma sagacité, ma galanterie et mon projet, lequel était, au reste, très mal vu par la société. Pour me charrier, un ami, qui était journaliste, avait écrit un article sur ma personne, qu’il avait intitulé : "SCOOP : DES COURS DE SÉDUCTION PAR UN GEEK". J’avais d’abord été très en colère ; puis, avais fini par apprécier la publicité qu’il avait inconsciemment faite de mes activités. Comme quoi, les mauvaises choses ne sont mauvaises que pour ceux qui les voient comme tel ! De plus, l’histoire du geek n’était pas une invention.

Il y avait quelques années, c’était bien ce que j’étais : un geek, qui n’avait aucune chance avec les femmes en général. Ma métamorphose est toute une histoire qui se résume à un seul nom : Amina. Pas la peine que je vous la raconte, car elle ne me rend pas justice. Tout ce que vous devez savoir est qu’après cet épisode, je suis devenu un autre homme. J’ai gagné en confiance, et ai acquis une très grande expérience dans le milieu. Je maitrisais véritablement le secteur, car, pendant trois ans, j’avais servi en tant que gigolo. A cette époque-là, je n’étais motivé que par une seule chose : l’argent. Alors, qu’elles fussent beaucoup plus âgées ou pas, tant qu’elles avaient de quoi m’entretenir, toutes les femmes étaient les bienvenues dans mon cœur ; enfin, c’était là une manière de parler.

Mes activités allaient bon train, jusqu’à ce que je fasse cette découverte : nombreuses étaient les femmes qui souffraient de dures séparations, ou qui n’avaient tout simplement pas – ou plus – confiance en elles. Celles-ci se morfondaient et s’apitoyaient sur leur sort, pensant que leurs vies n’étaient que de grosses merdes. J’avais connu cela à une époque, alors je voulais leur venir en aide, tout en continuant, bien entendu, à faire ce que je faisais habituellement pour gagner ma vie. Ce fut à ce moment précis que germa ce projet dans mon esprit. Je pouvais bien allier mes deux passions : coucher avec les femmes, et donner des cours de développement personnel. Ce que je leur proposais était une semaine pour changer positivement leur vie. Je savais comment m’y prendre. Mes anciennes bienfaitrices avaient toutes reconnu cette qualité en moi : je savais comment me comporter avec les femmes et, surtout, je savais ce qu’il fallait faire et dire pour leur redonner confiance en elles, tout en les valorisant. Quelle femme n’aurait pas été heureuse de passer du beau temps avec l’homme que j’étais ?

Sûr de mon fait, je décidai de lancer mon activité. Je fis une étude de marché, et me rendis compte qu’il y avait une forte demande, et que les femmes étaient disposées à payer le prix qu’il fallait pour une semaine de rêve. Je devais juste trouver le moyen d’amener ces dames à voir en moi autre chose que l’homme qui les ferait grimper au plafond. Bien entendu, cela aussi faisait partie du contrat. C’était d’ailleurs la première raison pour laquelle ces femmes voulaient être avec moi : je savais donner du plaisir ; mais je voulais faire plus que cela. Je voulais que ces femmes deviennent d’autres personnes. Qu’elles n’aient plus à souffrir de l’amour comme elles avaient souffert. Je voulais faire quelque chose de bien. J’avais tout mis en place, depuis ma stratégie marketing, jusqu’à la communication. Il ne me fallait plus que décrocher une première cliente, et l’entreprise serait lancée. Pour ce faire, la franchise et la transparence étaient importantes. Je tenais à commencer mon business sur de bonnes bases, et mentir à ces dames n’était absolument pas une option.

Ma chance, je l’ai eu deux mois après avoir lancé mon activité. C’était à une soirée de gala. Je trouvais toujours le moyen de me faire inviter, car ces soirées étaient réputées pour la qualité des personnes qui s’y trouvaient. Seul souci : il fallait s’y rendre en costume et cravate, à la rigueur, dans un boubou trois pièces en basin riche, pour être considéré. Je n’avais rien de tout cela, et ne connaissais personne dans mon entourage qui pût me les prêter. Avec l’argent reçu de mes bienfaitrices, je n’avais jamais pensé à m’acheter des vêtements dans le genre. J’avais en revanche de belles chemises, et un nombre incalculable de jeans. Ce choix vestimentaire se justifiait par mon âge : je n’avais alors que vingt-six ans. Une pause s’impose ici. Je dois vous faire cette confidence. Comme aux femmes que je fréquente, je ne vous mentirai que deux fois. Je viens d’épuiser mon premier mensonge. Souvenez-vous de ceci : je ne révèle jamais mon vrai âge ; cela fait également partie de mes principes.

Poursuivons.

Puisque je ne disposais pas des vêtements exigés à ces soirées, je me contentais du blazer que m’avait offert un ami, en échange d’un conseil sur le plan de la séduction, et des chemises qui emplissaient ma garde-robe. J’avais dû assister à une dizaine de soirées d’un ennui indicible, avant de tomber sur ma première cliente. Je me souviendrai à tout jamais de cette femme.

Elle se nommait Rachida. Je m’en souviens encore, car c’était la première. Principe de base : ne jamais oublier l’identité de son premier client. Rachida avait l’air de camoufler sa tristesse derrière des rires fallacieux. Elle était assise entre deux femmes, dont elle semblait ne pas apprécier la compagnie. Ces dernières avaient l’air de perroquets libérés de leur cage. Elles parlaient, ou plutôt piaillaient toutes en mêmes temps, comme dans un marché. De l’endroit où j’étais, bien que je ne pusse entendre leur discussion, je pouvais néanmoins deviner leur sujet. C’était très facile : j’avais l’œil et l’expérience pour cela. Dès le premier regard, je pouvais, non seulement différencier les arrivistes des véritables fortunes, mais en plus, je n’avais aucun mal à deviner leurs différents sujets de conversation. Cela était important pour pouvoir se fondre dans la masse, et, éventuellement, échanger avec ces dames. Il n’y avait aucun doute : celles qui entouraient ma future cliente étaient des parvenues, alors que Rachida, elle, était une authentique. Les authentiques sont des femmes qui ont toujours vécu dans la richesse, qui connaissent la classe, et savent ce que c’est que la retenue. Les autres, eh bien, ce sont les autres.

Les dames qui entouraient Rachida parlaient certainement de parures, d’hommes, de voyages, et d’argent : la discussion des femmes en général. Rachida, elle, était ailleurs. J’avais cherché son regard pendant un moment, et avais fini par le croiser. Cela avait été quelque peu difficile, car elle se refusait, apparemment, de soutenir le mien. Comme je le pensais, c’était une authentique : bien éduquée, et surtout respectueuse ; la proie idéale pour les bourreaux des cœurs. Avec ce genre-là, il fallait se montrer coriace, mais dans le bon sens. Je savais qu’elle fuirait mon regard pendant un moment, mais finirait bien par se demander ce que je lui voulais, et le soutiendrait. Ce fut exactement ce qui se passa. Jusqu’au terme de la soirée, je ne la quittai pas des yeux. Lorsqu’elle se leva pour s’en aller, je marchai à sa suite, et lui donnai ma carte, sans mot dire. Elle la prit, en soutenant mon regard. Je savais qu’elle avait compris le message : nos yeux avaient déjà conversé. Sur ma carte, il n’y avait que deux choses : mon nom, Yat le Sexy, et mon numéro de téléphone –je vous le communiquerai un de ces jours, promis. Le tout était centré, et écrit en doré sur du blanc.

Le lendemain, Rachida me téléphona car, comme toutes les femmes, elle était curieuse. Je lui proposai alors un rendez-vous, pendant lequel je lui aurais tout expliqué. Elle accepta. Trois jours plus tard, nous nous vîmes dans un restaurant. Je commençai par lui dire que je n’avais pas de quoi payer l’addition, mais que je pouvais par contre lui offrir un café, si elle en voulait. Elle accepta le café, et nous nous mîmes à discuter. Elle m’interrogea sur les raisons de ce regard fixe de la dernière fois, et je lui répondis que j’avais un don : voir et comprendre ce qui n’allait pas chez les femmes. Elle se sentit plus à l’aise, car elle était curieuse de savoir ce que je croyais savoir à son sujet. Je lui expliquai alors qu’elle avait le cœur brisé, et que depuis lors, elle ne faisait plus confiance aux hommes. C’était une hypothèse, mais celle-ci s’avéra juste. Rachida, sans la confirmer ni l’infirmer, me questionna sur le véritable pourquoi de ce rendez-vous. Je ne lui mentis pas. Je lui expliquai que mon don impliquait un devoir envers ces femmes au cœur meurtri, et que j’étais-là pour lui donner le bonheur qui lui avait été privé. Elle me fixa d’un air incrédule, puis demanda d’en savoir un peu plus sur ma méthode. Ce à quoi je répondis par cette phrase simple, que je sortis par la suite à toutes les autres femmes :

« Accordez-moi une semaine, et je vous montrerai ma méthode.

  • Et si vous n’y arrivez pas ? me demanda-t-elle.
  • Vous n’aurez rien perdu ! De plus, vous vous serez fait un beau jeune homme gratuitement. N’est-ce pas une proposition intéressante ?
  • Vous êtes donc un gi…
  • Gigolo ? Non madame. Je suis un businessman !
  • Et c’est quoi le business que vous faites ?
  • Je viens de vous l’exposer.
  • Quoi ? s’ahurit-elle. Ça ? C’est ça votre business ?
  • En effet.
  • Et qu’est-ce qui vous dit que j’accepterai ?
  • Rien ! Cependant, je sais que vous aurez tort de refuser. Vous n’avez absolument rien à perdre en acceptant. Vous avez surement peur de prendre ce risque, mais je peux vous garantir qu’il en vaut la peine, et qu’il en vaudra toujours la peine. Je transformerai positivement votre vie, et vous n’aurez plus jamais à avoir peur d’être blessé par un homme quel qu’il soit.
  • Combien ? demanda-t-elle.
  • Je vous demande pardon ?
  • A combien facturez-vous vos services ?
  • Trois cent…
  • Trois cent ?
  • Trois cent mille francs CFA.»

Rachida me fixa pendant un moment, comme si elle cherchait dans mes yeux quelque chose qui pût lui révéler d’autres intentions que celles que je lui avais exposées. Puis, elle me dit :

« J’achète.

  • Pardon ?
  • Je dis que je marche ! Je suis d’accord.
  • Bien ! fis-je en camouflant ma surprise.
  • Et comment procédez-vous ? Je vous règle maintenant, ou bien…
  • A la fin du service, dis-je. Vous ne me réglez que si vous êtes satisfaite.
  • D’accord, fit-elle en esquissant un sourire.
  • Pourquoi souriez-vous ?
  • Je ne sais pas. Tout ceci est très bizarre. Je sens que je suis folle de me lancer dans cette affaire, mais je veux prendre le risque. Je n’ai jamais pris de risque de ma vie. Il est peut-être temps de commencer.
  • Sage décision, dis-je. Puis-je vous embrasser ?
  • Quoi ?
  • Vous embrassez, répétai-je. C’est ainsi que je scelle un marché.
  • Même avec les hommes ?
  • Je ne travaille pas avec les hommes, madame.
  • Je vois ! dit-elle en laissant glisser son regard sur mon corps. D’accord ! Vous le pouvez. »

Je me levai, me penchai vers elle, et l’embrassai fougueusement. Le business était dès lors lancé.

Tout cela remonte à des années. Rachida a été ma première cliente, mais j’en ai eu plusieurs autres après elle. A présent, j’ai un carnet d’adresse bien garni. On y trouve les numéros de femmes de tout genre. Toutes, excepté Rachida, ont le même nom : client, suivi de leur numéro d’arrivée. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, mes clientes sont presque toutes de très belles femmes. C’était à se demander comment les autres hommes se débrouillaient pour passer à côté de telles beautés. Et en plus d’êtres belles, ces dames sont financièrement bien assises. Certaines tirent leurs fortunes de leurs parents, d’autres, de leur travail, et une troisième catégorie, de leurs propres entreprises. Ce sont donc des femmes respectables.

Celle avec laquelle j’ai passé la nuit précédente, est le client53. Je l’ai appelée « mon cœur » durant toute la semaine car, lors de notre première rencontre, qui remonte à sept jours, elle m’a laissé entendre qu’elle aimait bien se faire appeler ainsi. Elle n’ignorait pas que cela n’était valable que pour une semaine, mais semblait toujours heureuse lorsque je prononçais, avec sourire, ces deux mots : « mon cœur ». Pour moi, cela n’était rien de plus que du travail. J’avais pour devoir de la rendre heureuse pendant cette semaine pour laquelle j’étais rémunéré, et j’étais prêt à tout pour cela. Mon seul objectif, au-delà du bonheur que je leur transmettais, était l’argent que je recevais. Certaines, me croyant trop cupide, et voulant jouer aux plus malignes, ajoutaient quelques billets sur le prix normal, pour me retenir davantage. Mais j’avais des principes ; et ne pas prendre plus que mon dû, était également l’un d’eux.

Jusqu’à ce jour, j’avais respecté ces principes, bien que cela fût quelques fois difficile. Je m’étais promis qu’après le client53, je ferai une pause, et prendrai des vacances. S’il est vrai que j’ai un corps capable de supporter des relations sexuelles continues, mon esprit, lui, a parfois besoin d’un temps de repos pour reprendre des forces. En outre, j’ai amassé suffisamment d’argent pour prendre ma retraite, même si je n’ai que 29 ans.

Client53 s’est levée plus tôt que d’habitude. Il était onze heures, et le temps poursuivait sa course effrénée. Il me fallait rentrer chez moi. Je m’étais pris un appartement dans un quartier à quelques kilomètres du centre-ville : l’endroit idéal pour ne jamais croiser une cliente avec laquelle l’on avait déjà fait des affaires. Par mesure de prudence, aucune de mes clientes ne savaient où je logeais. Cela était préférable, car elles auraient pu me rendre visite, et essayer de me faire changer d’avis. Ayant un bon cœur, il m’aurait été difficile de leur dire non. Il valait donc mieux maintenir le mystère.

Après avoir quitté le lit douillet de Client53, je suis allé prendre une douche, me suis vêtu, et ai attendu. Client53 n’était toujours pas là. Il était midi moins vingt-deux. Cette dame allait me mettre en retard. Elle ne m’avait toujours pas payé, et je ne lui avais pas encore dit le second mensonge. Je pensais déjà à sa réaction. Elles avaient toutes une réaction particulière lorsque je leur disais que c’était la fin, que la semaine était terminée. Pour Client53, elle allait surement être choquée que le temps soit passé si vite, et vouloir, comme toutes les autres, que je reste un jour de plus. Bien entendu, cela était impossible : principes. Mais il ne fallait pas le lui dire, au risque de la rendre encore plus malheureuse qu’elle ne l’avait été. Il fallait au contraire nourrir en elle l’espoir d’une nouvelle semaine d’amour ; et c’était à ce moment précis que le second mensonge entrait en jeu.

J’étais donc tranquillement en train d’attendre Client53, lorsque j’ai aperçu, posé sur sa table de chevet, une enveloppe kaki. Il y avait mon nom écrit là-dessus : Yat le Sexy. Je ne l’avais pas remarquée à mon réveil. Je l’ai ouverte, et ai découvert la somme exacte qu’elle me devait. La semaine de rêve était désormais facturée à cinq cent mille francs CFA. Cinquante pour-cent d’avance dès la signature du contrat, et le reste, à la fin du service. Avec le temps, je m’étais fait une certaine réputation auprès des femmes, qui justifiaient cette hausse des prix, de même que ce nouveau règlement. Cela était un conseil de Rachida. Elle m’avait fait comprendre l’importance du travail que je faisais, et m’avait poussé à le valoriser.

« Cette semaine avec toi, équivaut à toute une vie avec n’importe quel autre homme » m’avait-elle dit. Cela était vrai car, ces femmes en sortaient avec une attitude positive, une pleine confiance en leur personne, mais surtout, de nouvelles connaissances en matière de relations de tout genre. Je leur apprenais tout ce que je savais, ou presque, tout en leur donnant la chance d’être traitées comme des reines. Un demi-million était donc un prix largement abordable, et elles le savaient.

Le choix de paiement de Client53 est tout de même surprenant, vu qu’elle n’est pas sans savoir que c’est le dernier jour. Pourquoi n’est-elle donc pas là ? J’avais pris le temps de l’analyser, histoire de mieux la cerner. Elle était une personne d’apparence calme, mais bouillante à l’intérieur. Elle était belle. Je sais que je l’ai déjà mentionné, mais cela mérite d’être répété. Elle était vraiment belle. J’avais été surpris de la voir si triste, la première fois que je l’avais rencontrée. C’était lors d’une conférence qui accueillait d’importantes personnalités du monde entier. Elle faisait partie des conférenciers, bien qu’étant très jeune. Elle représentait une association de femmes, dont elle était la présidente. Elle devait avoir trente ans à tout casser. Elle avait tout pour plaire : intelligente, disciplinée, ravissante, avec, cerise sur le gâteau, un sourire et des yeux à vous couper le souffle. Pourtant, elle était incroyablement triste. Son visage était celui d’une personne qui avait traversé une expérience difficile, et qui était arrivée au bout du rouleau.

Après la conférence, je l’avais abordée pour la féliciter, et lui faire part de mon avis sur la question développée. Elle avait apprécié ma remarque, et avait pris ma carte. Je l’avais ensuite observée pendant une semaine, afin de mieux la connaitre. Je les observais toujours. Puis, j’avais feint une rencontre fortuite, et en avais profité pour échanger avec elle, et lui exposer mon activité. J’avais compris qu’elle avait une certaine aversion pour les hommes en général ; alors, lui mentir n’aurait fait que l’éloigner et la conforter dans sa position. Ainsi avais-je préféré jouer carte sur table d’entrée de jeu. « Je suis l’homme qu’il vous faut» lui avais-je dit, en la regardant droit dans les yeux. Au début, elle m’avait pris pour un autre salaud. Elle avait voulu s’en aller ; puis, s’était ravisée, lorsque je lui avais dit : « pas d’attache, et aucun engagement ». Elle s’était rassise, et avait fini par épouser l’idée, lorsque je la lui avais exposée. Une semaine avec un bel homme, et pas d’engagement. Juste une semaine, après quoi, chacun retournait à sa vie. C’était une belle offre. Elle m’avait dit qu’elle réfléchirait. Le lendemain, elle m’avait rappelé, et nous avions passé la nuit dans le même lit. Incroyable, je sais. Sachez qu’il n’y a rien d’incroyable pour une personne qui sait où elle va, ce qu’elle fait, et comment elle le fait. Ce qui aurait été incroyable est qu’elle eût refusé mon offre. J’avais certes essuyé quelques refus, cela allait de soi ; mais pour elle, j’avais été sûr de moi.

Si je n’étais pas prisonnier de mes principes, passer le reste de ma vie avec Client53 ne m’aurait pas déplu. Elle était tout ce qu’un homme pouvait espérer d’une femme. C’était une personne pleine de qualités, avec un grand cœur de surcroit. Je lui avais demandé pourquoi elle était célibataire, et elle m’avait expliqué laconiquement qu’aucun homme ne lui convenait. Elle ne semblait pas si exigeante pourtant ! C’était juste une femme qui accordait beaucoup plus de temps à son travail, qu’à tout autre chose. Ce qu’elle cherchait, c’était un homme qui pût comprendre cela, et pût l’accepter. Qu’y avait-il de compliquer en cela ? Pourquoi aucun homme ne pouvait remplir ces conditions ? Certes, les gouts et les couleurs ne se discutent pas. Mais quand même ! L’on n’a pas besoin d’être un expert pour apprécier une vraie femme.

En ce qui me concernait, j’avais fait mon travail. Client53 m’avait semblé heureuse. Elle ne s’était jamais plainte, et d’ailleurs, elle avait appris à mettre son travail de côté pour apprécier la vie. Que de belles nuits passées avec elle. C’était étrange, car je me souvenais de presque tous ces moments : ses sourires, ses regards, sa folie ; toutes ces choses me revenaient à l’esprit, lorsque je pensais à elle. Le mystère et l’absence : deux armes importantes pour toute relation, lorsqu’on sait les utiliser. A présent, j’avais l’impression d’être le client. Je ne savais d’ailleurs pas pourquoi je l’attendais encore.

J’ai pris l’enveloppe et mes affaires, que j’ai retrouvées rangées dans un sac, et ai quitté la chambre. J’ai ensuite balayé du regard toute la maison, qui était magnifique, et me rappelait plein de bons moments, avant de prendre la direction de la porte de sortie. J’allais tourner la poignée, mais quelqu’un m’a précédé.

« Tu es encore là ? a dit Client53, d’un air surpris.

  • J’attendais ton retour.
  • Ce n’était pas nécessaire. C’est le dernier jour, n’est-ce pas ?
  • Oui, je sais !
  • Alors, tu ferais mieux de partir.
  • Pourquoi agis-tu ainsi ? lui ai-je demandé. Je croyais qu’on était d’accord !
  • Bien sûr qu’on était d’accord. C’est d’ailleurs pour cette raison que je ne comprends pas pourquoi tu es toujours là. Il est douze heures, je te signale.
  • Non, ai-je dit en regardant ma montre. Il reste encore trois minutes.
  • Et que veux-tu faire pendant ces trois minutes ?
  • Un dernier baiser, ça te dit ?
  • Non, j’ai arrêté de jouer à ce jeu-là. Je n’aurais d’ailleurs jamais dû accepter.
  • Pourquoi ?
  • Tu sais pourquoi.
  • Non ! Je l’ignore.
  • Dans ce cas, tu ne le sauras jamais.
  • J’ai fait ceci pour que tu sois heureuse, pas le contraire.
  • Alors, tu es quoi ? Une sorte de vendeur d’amour ?
  • Non. Je suis juste un homme qui veut bien faire.
  • Je vois. Et je te souhaite une très bonne chance dans ton entreprise.
  • Ne fais pas ça !
  • C’est déjà fait. Et il est midi. Au revoir, Yat le sexy. »

Sur ces mots, elle est entrée dans son appartement, et a refermé la porte derrière elle. Je suis resté sur le pas de la porte, à me demander ce qu’il fallait faire. Je savais ce qu’elle attendait de moi, mais je ne pouvais déroger à mes principes. Cela était bien au-dessus de mes forces. Je n’avais que cela, mes principes. Même si je mourrais d’envie de faire machine arrière, et d’aller retrouver Client53, j’ai préféré résister à la tentation, et me suis en allé. L’amour, c’est pour les autres, pas pour moi.

PS : A vous de trouver le deuxième mensonge.

Da Writer.

"Si une femme t'aimait, et si tu avais la présence d'esprit de mesurer l'étendue de ce privilège, aucune divinité ne t'arriverait à la cheville."
Yasmina KHADRA

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